Archives pour la catégorie Critiques

En Italie, il n’y a que des vrais hommes
Roman graphique de Luca de Santis & Sara Colaone, traduction de Claudia Migliaccio

 Ed. Dargaud Benelux, 2010

Le titre de ce roman graphique vient de l’exclamation de Mussolini lors du vote d’une loi visant la répression des homosexuels : “Noi non abbiamo bisogno di questa legge: in Italia sono tutti maschi!” («Nous n’avons pas besoin de cette loi : en Italie il n’y a que des vrais hommes !»). Par cette affirmation, le dictateur fait résonner les principes fascistes concernant l’homme italien : les homosexuels en Italie n’existent pas car le peuple italien n’est constitué que de vrais mâles, actifs, virils. Une fable de plus de l’idéologie fasciste.

Ce refus de l’existence même de la différence est source de prise de mesures dès 1928 dans le silence et l’ombre contre les personnes homosexuelles. Celles-ci se basaient sur une arrestation sans motif exposé, un examen médical des parties intimes visant à avérer la pédérastie, puis un jugement pour « crime contre la race » donnant suite à une déportation dans des centres spéciaux ou sur des îles au large des Pouilles où les homosexuels étaient confinés entre eux, pour des peines allant de 1 à 5 ans. Outre le confinement physique, c’est un total effacement de leur existence que met en place cette mesure, en les arrachant à leurs familles et en les isolant de tout et de tous.

Pour nous accompagner dans cette lecture, les auteurs ont choisi de nous faire suivre le périple de deux apprentis journalistes qui souhaitent interviewer un ancien confiné, surnommé Ninella, en le ramenant sur l’île de sa détention : San Domino delle Tremiti, au large des côtes de Termoli et Vieste, aujourd’hui paradis pour touristes. Sous forme de flash-back au trait de crayon expressif et en 3 nuances de couleur seulement, nous découvrons l’histoire de cet homme et de ses compagnons d’infortune dans l’Italie fasciste de la fin des années 30 et leur quotidien sur cette île. Les noms des personnages ont été changés mais leur vécu et personnalité sont directement inspirés de la réalité. Ils seront finalement renvoyés chez eux suite à l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Allemagne Nazie, en juin 1940, avec une peine de 2 ans d’assignation à domicile, l’île étant destinée désormais aux « prisonniers de guerre et ennemis du régime ». La fin de leur confinement est accueillie avec joie mais la réinsertion dans un quotidien qui n’est plus le leur et dans une collectivité à qui ils n’ont pas le sentiment d’avoir manqué n’est pas chose aisée : « Je rentre, mais plus rien n’est comme avant. Aujourd’hui mon royaume c’est ce bout de terre qui n’appartient à personne, et où on a oublié le sens des mots chez nous. Je rentre, oui, mais où ? »

Ce livre nous ouvre un pan de l’histoire italienne et gay encore méconnu, et surtout grand absent des livres d’histoire.
Un point paradoxal est évoqué en fin d’ouvrage : certains confinés ont pleuré en quittant San Domino car, malgré les souffrances physiques et psychologiques de ce confinement forcé pour le seul crime d’aimer les hommes, ils étaient au moins enfin libres d’être pleinement et ouvertement eux-mêmes, loin du jugement de la société et des restrictions fascistes, sans peur de causer du tort à leurs familles et soulagés de ne plus réciter le rôle qu’on leur imposait.
Une réflexion sur la fragilité de la tolérance, l’acceptation de la différence dans une société où il ne faut surtout pas dévier du chemin imposé comme étant le seul acceptable.
Nier la différence ne l’empêche pas d’exister, tâchons de ne pas l’oublier, tout comme l’histoire que Ninella nous a partagée.

Lucile Charton

Recommandations des Métisseurs – Mai

Les Métisseurs partagent leurs coups de cœur, les livres qui les ont fait vibrer, rire ou pleurer… Voici les Recommandations du mois de mai !

Kétamine, Zoé Sagan, Au diable Vauvert

Kétamine C13H16ClNO - Zoé Sagan - Au Diable Vauvert - Grand format ...Kétamine, c’est un pavé pamphlétaire stupéfiant, un tour de force qui retourne le cerveau. La narratrice est une Intelligence Artificielle forte qui s’est donnée pour mission de sauver les humains en les libérant d’un système capitaliste, inhumain et pernicieux, en militant pour la culture, l’art et l’entraide. Ce parti pris original et captivant donne immédiatement l’impression de dialoguer avec un algorithme intellectuellement supérieur à soi. L’immersion est totale, notamment parce que cette IA s’appelle Zoé Sagan, et que c’est aussi le nom de l’auteure inscrit sur la couverture. Dans la fiction, Zoé Sagan, l’IA, s’empare des réseaux sociaux comme d’armes politiques, elle est à la fois lanceuse d’alerte et provocatrice anarchique sulfureuse et féministe. Mais on ne sait plus où est la frontière entre fiction et réalité car hors du roman, un compte facebook et un compte twitter au nom de Zoé Sagan existent bel et bien et publient les mêmes articles que ceux présents dans le livre ainsi que d’autres, inédits. Sa voix métaréelle assène au lecteur des réflexions pertinentes et des élucubrations vertigineuses sur notre société. Ce dernier se retrouve happé par un flux d’informations au potentiel explosif : il se sent alors investi de la même mission que l’IA et a envie de prendre les armes à son tour, car Zoé sème le doute sur la puissance du système, ce qui suffit à la mettre à mal. Combattre n’a jamais semblé aussi simple car, comme le dit l’IA, « l’anonymat et l’invisibilité ont beaucoup plus d’influence au XXIe siècle que la visibilité ». Changer le monde semble à portée de main.

Joséphine De Gabaï

 

Ailleurs, Henri Michaux, 1948

L’œuvre du poète Henri Michaux est, dans un premier temps, difficile à appréhender : il faut d’abord accepter l’humour qui s’y glisse et que l’on est autorisé à rire de la poésie. Ainsi, Ailleurs est peut-être l’œuvre la plus drôle de Michaux, mais d’une drôlerie froide voire glaçante. Il s’agit d’un journal, ou plutôt d’un carnet, rempli de notes sur les pays que visitent le poète, sur leurs particularités, leurs coutumes, le caractère de leurs habitants, etc. En somme, un carnet de voyage tout à fait topique… à la différence qu’aucun des pays décrits n’existe réellement ; ils sont tous issus de l’imagination du poète et plus absurdes les uns que les autres.Ailleurs - Henri MICHAUX - Fiche livre - Critiques - Adaptations ...

Le recueil se compose en réalité de trois recueils, traitant chacun d’un pays en particulier : La Grande Gabaragne (qui se divise elle-même en nombre de provinces différentes), Le Pays de la magie et Poddema. S’enchaînent, dans une écriture simple et minimaliste, des scènes étranges, déroutantes mais toujours traitées comme normales ; un spectacle où des membres d’une même famille se battent sur scène ou dans la boue d’un marécage, des lâchers d’animaux sauvages dans les rues, des exécutions normales de fonctionnaires ou exceptionnelles et admirables des bons à rien ; et au pays de la magie, ce sont des plaies que l’on garde sur les murs pour souffrir sans avoir la tentation de se soigner, le temps qui se fige et beaucoup d’autres miracles que je préfère ne pas divulguer… On y trouve un écho parfois critique des sociétés européennes, parfois seulement distordu, parfois l’on y trouve rien de ce que l’on connaît.

Tristan Dupart

 

Le Baobab fou, Ken Bugul

Le Baobab fou est le premier livre de la trilogie autobiographique de Ken Bugul, nom de
plume de l’écrivaine sénégalaise Mariètou Mbaye. Elle nous raconte ses premières années de vie à Ndoucoumane, sa ville d’origine au Sénégal, où elle grandit auprès d’un baobab, témoin de sa croissance et de différents événements. L’auteure nous présente aussi les différents aspects culturels de la vie au Sénégal à travers son regard, surtout ceux de la vie d’une femme. Depuis son enfance, Ken s’est toujours posée des questions sur la vie au Sénégal, les conditions de vie des femmes, plus particulièrement celles des Noires.

Le Baobab fouInsatisfaite de sa vie dans son pays et submergée de chagrin, de ressentiment et de colère à cause de l’abandon de sa mère quand elle était petite, l’envie lui prend de partir découvrir « le Nord terre promise ». Grâce à ses études à l’école française et à une bourse à l’université, elle va faire des études à Bruxelles, en Belgique. Elle part avec de grandes attentes, mais aussi avec nostalgie, et c’est ainsi qu’elle découvre un nouveau mode de vie et de nouvelles personnes dans cette contrée prometteuse. Malgré son souhait accompli de partir en terre promise, le désarroi et les désillusions l’envahissent, la menant vers les chemins les plus obscurs : la drogue et la prostitution.

Cette œuvre nous révèle aussi les différents rapports entre les gens d’un pays moins
développé comme le Sénégal et celui d’un pays plus développé, la Belgique. Ce dernier pourtant encore hanté par le colonialisme. L’auteure nous présente à ce propos divers sujets dans son livre, encore controversés aujourd’hui, notamment les vestiges du colonialisme, où le racisme joue ici un rôle principal. Ainsi, elle parle des attitudes africaines et européennes dans le post-  colonialisme, du féminisme et du racisme. Ce roman nous montre, avant tout, la recherche d’identité de Ken Bugul et sa souffrance vis-à-vis du départ de sa mère, qui l’a marquée dès son enfance. De ce fait, cette œuvre est un récit non seulement autobiographique mais aussi, d’une certaine manière, thérapeutique et poétique de Ken Bugul pour surmonter le choc traumatique, l’aliénation, l’abandon de sa mère et les vestiges du post-colonialisme. Un récit sans tabous qui nous apprend une autre culture, un autre mode de pensée et des problématiques qu’il existe encore dans notre monde. Le lecteur se verra surpris et interpellé par ce récit de vie, qui a suscité tant de critiques, raconté d’une manière franche, poétique et parfois crue.

Andrea Rico

Le Hasard fait bien les mots – «Dessin»

Blood Stain, Linda Seijic

Chimiste tout juste diplômée, Elliot Torres ne parvient pas à trouver un emploi stable. Forcée à revoir ses critères, elle va décider d’accepter l’offre du docteur Vlad Stein, un homme plutôt étrange, dont les rumeurs s’accordent à dire qu’il n’est rien d’autre qu’un extravagant sans morale ni principes. Malgré ses craintes et préjugés, elle va apprendre à se connaître et développer sa confiance en elle et son travail à travers leur collaboration.

Avec Blood Stain, Linda Seijic nous propose une bande dessinée sur l’archétype du scientifique fou qu’elle traite brillamment et avec humour. Pour ceux qui apprécieront sa collection principale, elle offre également un hors-série bonus à travers lequel les personnages principaux de la bande dessinée sont adaptés dans l’univers de la mythologie grecque, avec Vlad dans le rôle du Dieu Hadès et Elliot en Perséphone. Une série très agréable à lire, pleine de plaisanteries et de jeux de mots subtils.

Marine Madani

Le petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry

“- S’il te plaît… dessine-moi un mouton…
Quand le mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir. Aussi absurde que cela me semblât à mille milles de tous les endroits habités et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j’avais surtout étudié la géographie, l’histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me répondit :
– Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton.
Comme je n’avais jamais dessiné un mouton je refis, pour lui, l’un des deux seuls dessins dont j’étais capable. Celui du boa fermé. Et je fus stupéfait d’entendre le petit bonhomme me répondre :
– Non ! Non ! je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. Un boa c’est très dangereux, et un éléphant c’est très encombrant. Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton.Amazon.fr - Le Petit Prince - Folio Junior - Antoine de Saint ...
Alors j’ai dessiné.”

Antoine de Saint-Exupéry a touché avec cette invitation au rêve poétique de nombreuses générations, et fait écho à l’enfant qui sommeille en nous. Cette jolie fable reste le plus doux moyen de s’évader quand il nous arrive de nous sentir aussi seul•es que le Petit Prince sur son astéroïde B612…

   Louise Rendu

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Culottées – des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent, Pénélope Bagieu

Culottées. Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent (Tome 1 ...Dans cette bande dessinée, Pénélope Bagieu nous dresse le portrait de quinze femmes qui, au cours de leur vie, ont bravé les interdits ou les normes sociales patriarcales et sexistes de leur époque, comme le refus d’éduquer les femmes, ou de leur confier l’activité politique ou militaire. Grâce à ses dessins hauts en couleurs, Pénélope Bagieu nous fait revivre ces femmes, oubliées de l’histoire, le temps d’une
courte planche.

Un deuxième tome est sorti en 2017 et depuis mars 2020, l’adaptation vidéo de ces BD est diffusée par France 5. À retrouver ici sur YouTube.

Coline Charbin

Recommandations des Métisseurs – Mars

Les Métisseurs partagent leurs coups de cœur, les livres qui les ont fait vibrer, rire ou pleurer… Voici les Recommandations du mois de mars !

 

Par les routes, Sylvain Prudhomme

J’ai été complètement absorbée par ce roman, je l’ai lu presque d’une traite. Il fait partie des pépites que cherchent les lecteurs avides, des livres qui marquent profondément et que l’on ne trouve pas tous les ans.

Résultat de recherche d'images pour "par les routes sylvain prudhomme"Comme par hasard, l’autostoppeur habite dans cette ville. Alors ils se revoient. Il est marié à et a un enfant, Agustin.

L’autostoppeur a la même lubie depuis qu’il est étudiant : il a sans arrêt besoin de partir en stop dans le seul et unique but de rencontrer des gens. Marie, sa femme, accepte cette pulsion sans difficulté mais elle finit par lui avouer qu’elle est triste de constater qu’il ne lui manque plus lorsqu’il n’est pas là. Au lieu de rester, il part, plus longtemps que jamais. Alors Sacha, le narrateur qui est aussi écrivain, se rapproche beaucoup d’elle et d’Agustín. Il devient le père de substitution de ce dernier, va le chercher à l’école, s’occupe de lui. Il était amoureux de Marie depuis longtemps et petit à petit elle se met elle aussi à l’aimer. Au début, il suspecte l’autostoppeur de ne pas être vraiment parti, d’être caché tout près et de les espionner. Puis tous les trois trouvent un drôle d’équilibre, tout en continuant d’entretenir une relation étrange avec l’incernable autostoppeur qui est un peu là malgré son absence, qui envoie les clichés de chaque personne qui l’a pris en stop ainsi que des cartes postales symboliques – le nom des villages correspondent d’une certaine manière au destinataire : Sacha a reçu des cartes de Balzac, de Duras ; Agustin d’Ogres ; Marie de Doux….

J’ai beaucoup apprécié le style de l’auteur : ses phrases courtes mais très efficaces et incisives donnent vie à des personnages très profonds que l’on comprend et pour qui on développe de l’empathie. Il parvient à suggérer la sensualité et l’attirance entre les personnages malgré une économie de mots, en décrivant comme ils sont proches, comme leur bras se frôlent, comme ils sentent leur odeur, leur chaleur. On ne sait pas s’il va se passer quelque chose mais aucune importance, il se passe déjà le plus important : les sensations et le désir. On ressent la même chose que Sacha autant grâce à ce qui est dit que ce qui n’est pas dit, à ce qui n’arrive pas et que l’on attend avec lui. Quelque chose manque de se passer entre Marie et lui, et ça ne revient plus pendant longtemps, on ne comprend pas pourquoi ils font comme si rien ne s’était passé. Le lecteur est perdu et espère, l’écrivain aussi. Puis, finalement, ils succombent à leur attirance et à leur amour, et un drôle d’équilibre se forme.

Joséphine De Gabaï

 

 

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

 

Aimer pour l’esprit ou aimer pour la beauté… Pourquoi donc choisir, quand on peut avoir les deux ? L’aimée Roxane s’est éprise de Christian, sans savoir que ses mots sont ceux de Cyrano. Il l’aime tendrement depuis l’obscurité, pensant que sa laideur lui interdit d’avouer.. C’est en alexandrins qu’il gagnera son coeur, sous les traits du beau Christian qui a peu d’esprit. Résultat de recherche d'images pour "cyrano de bergerac edmond rostand"

Cette comédie se termine tragiquement, et pourtant on ne se lasse pas de la lire, relire, de goûter aux mots que Rostand a écrit comme s’ils étaient nouveaux à chaque lecture, comme s’ils s’animaient véritablement tant leur mélodie résonne dans l’esprit du lecteur. Cyrano manie aussi bien les mots que la lame de son épée, et nous emporte avec lui dans cette valse endiablée où l’on espère qu’il puisse, à son tour, être aimé.

 

Louise Rendu

 

Moby Dick, Herman Melville

 

Certains se suicident, d’autres prennent la mer. Ishmael choisit la mer, sur un baleinier que lui indique la providence et que son capitaine, Ahab, lance dans une poursuite vengeresse, celle d’un immense cachalot blanc qui lui a arraché une jambe, Moby Dick. L’intrigue en est bien connue, mais Moby Dick n’est pas un roman d’intrigue, ce n’est pas une histoire que l’on suit, mais une grande transfiguration de tout un pan de la culture occidentale. Melville, dans un anglais rude et poétique, fait autant dériver le Pequod sur l’océan qu’à travers l’histoire et la littérature reprenant des thèmes antiques hérités d’Homère et de Virgile, bibliques et surtout, Shakespeariens. La quête initiatique d’Ishmael est doublé en filigrane d’une dimension prophétique et les personnages rappellent ceux de Shakespeare. C’est aussi un grand roman de l’expérimentation narrative, Ishmael, narrateur du roman disparaît parfois entièrement de la narration pendant plusieurs dizaines de pages, laisse place à d’autres personnages, d’autres points de vue. Il joue sur le point d’ancrage de la narration, laissant entendre ce qui va arriver aux personnages plus tard dans le roman sans jamais rien divulguer.

L’ambition de Melville est folle d’écrire un roman qui mêle toutes les formes d’écritures,
littéraires (poésie et théâtre s’immiscent dans la forme romanesque), scientifiques (plusieurs chapitres traitent de la catégorisation des espèces de baleines, citant avec précision des sources scientifiques, les reprenant et les corrigeant au besoin) ou critiques (au début du roman, comme une préfiguration de la suite de l’intrigue, Ishmael assiste à un sermon qui est une analyse du « Livre de Jonas », dévoré par une baleine pour avoir refusé d’accomplir l’œuvre de Dieu.) En un mot, lire Moby Dick, c’est faire l’expérience quasi absolue de la littérature qui se dépasse sans cesse et travaille tout un monde intellectuel qui la précède et la conditionne.

 

Tristan Dupart

Recommandations des Métisseurs – Février

Les Métisseurs partagent leurs coups de cœur, les livres qui les ont fait vibrer, rire ou pleurer… Voici les Recommandations du mois de février !

 

Une mort très douce, de Simone de Beauvoir

Trois mois. C’est le temps qu’il aura fallu à Françoise de Beauvoir pour mourir, ignorant le cancer qui la rongeait, tandis que ses filles préféraient le lui cacher.  Trois petits mois avant le silence. Elle l’a aimée, sa mère, bien qu’elles ne se soient pas toujours entendues. Ce recueil contient donc des paroles, des impressions, des souvenirs d’enfance et des confidences sur les derniers instants de sa mère, toujours racontés avec une certaine réserve, peut-être un moyen de se protéger.Image associée

Au milieu de ce souvenir, un thème que Simone de Beauvoir aborde également dans La vieillesse : la manière dont on laisse partir les siens. C’est un livre peu facile à lire, en permanence déchiré entre la relation conflictuelle qu’elle a toujours eu avec sa mère et la rancoeur qui est restée en elle, et l’amour inconditionnel qu’elle lui porte. 

Un moyen de laisser partir sa mère et de trouver la paix. 

Louise Rendu

 

L’âge d’or, de C. Pedrosa et R. Moreil

Le royaume est accablé par la famine et Tilda, fille ainée du roi, est bien décidée à soulager son peuple et rétablir la justice. A la mort de son père, alors qu’elle s’apprête à
monter sur le trône, un complot mené par son jeune frère la condamne à l’exil. Accompagnée de ses deux compagnons, le seigneur Tankred et le jeune Bertil, la princesse décide alors de reconquérir son royaume.

Résultat de recherche d'images pour "l'age d'or C. Pedrosa et R. Moreil"En chemin, ils apprennent l’existence d’une étrange légende. Une légende qu’on se raconte à voix basse, une légende qui parle d’un « âge d’or », un âge où les Hommes étaient libres de circuler à travers le monde, un âge où il n’y avait ni domination ni servage, un âge où les Hommes partageaient tout, comme des frères.  Cette bande dessinée nous entraine au cœur d’un conte médiéval poétique, politique, féministe et utopique, et nous offre une vraie réflexion sur nos propres sociétés. Les dessins de Cyril Pedrosa nous transportent par leurs couleurs chatoyantes et lumineuses, et se révèlent d’une richesse et d’une profondeur saisissante. Premier volume d’un dytique prometteur, on attend le tome 2 avec impatience !

Coline Charbin

 

La marque, de Jacqueline Carey 

Traduit par Fred Le Berre

Enfant, Phèdre nó Delaunay a été vendue par ses parents à une école de courtisanes. Là bas, elle est jugée inapte au service à cause d’un défaut sur sa pupille et par la suite rachetée et recueillie par un noble de Terre d’Ange, qui l’éduquera et la formera à l’art de l’espionnage. En utilisant ses talents de séduction, elle parviendra à soutirer à ses détracteurs les informations les plus secrètes. C’est de cette manière qu’elle découvrira, à la mort de son mentor, le complot qui pèse sur sa patrie. Phèdre, simple courtisane, se met alors en tête de défendre son peuple contre la menace ennemie en compagnie de l’ancien garde du corps de son maître, guerrier révoqué.

Résultat de recherche d'images pour "kushiel la marque"

Kushiel est une série composée de trois tomes qui pourraient presque faire chacun la taille d’une encyclopédie, pourtant, la plume fluide de l’auteur nous donne envie d’en lire toujours plus. Les phrases sont longues sans être barbantes, l’action est véritablement prenante et les thèmes abordés nous font nous interroger sur notre propre réalité. On s’attache très facilement à l’héroïne plutôt particulière que l’écrivaine a choisi de nous présenter, à tel point que l’on arrive à ressentir son combat intérieur tout au long du roman, ses craintes et ses espoirs. Jacqueline Carey est une auteure que j’apprécie particulièrement pour son style d’écriture, qui est si travaillé et pourtant semble si naturel. J’en profite pour adresser un grand bravo à son excellent traducteur, et qui a su retranscrire parfaitement les intentions de l’auteur et l’esprit du livre.

Marine Madani

Recommandations des Métisseurs – Décembre

Les Métisseurs partagent leurs coups de cœur, les livres qui les ont fait vibrer, rire ou pleurer… Voici les Recommandations du mois de décembre !

 

 

Chroniques de Francine R., résistante et déportée de Boris Golzio, chez Glénat

Une fois n’est pas coutume, j’ai eu un coup de cœur pour une œuvre sur la Seconde Guerre Mondiale. Et c’est de nouveau une BD qui m’a tapé dans l’œil.

J’ai découvert avec Résultat de recherche d'images pour "Chroniques de Francine R., résistante et déportée""joie le travail de Boris Golzio qui retrace l’histoire de Francine, une jeune résistante de la Loire déportée dans différents camps nazis. Le livre retrace son parcours, de son arrestation à sa libération et son retour en France. Le récit est fait de façon très oralisée puisqu’il s’agit d’enregistrements de témoignages retranscrits au fil de l’histoire. Les notes explicatives rajoutées par l’auteur sont très appréciables car elles permettent au lecteur initié d’approfondir ses connaissances sur la période, mais également aux néophytes de s’y retrouver un peu mieux.

Le dessin est très beau et plutôt réaliste, jusque dans les petits détails. J’ai particulièrement apprécié l’utilisation de la couleur sépia qui rajoute une tinte de souvenirs au récit, ainsi que les touches de couleur sur la fin lors du retour en France de Francine.

Lola Dougère

 

Poisons Study, de Maria V. Snyder

Récit traduit de l’anglais par Lucie Périneau

« Deux semaines se déroulèrent ainsi. Peu à peu, une routine s’installait. Tôt le matin, je me présentais chez Valek pour prendre ma leçon quotidienne. Après de longues heures passées à renifler des éprouvettes, mon odorat s’était sensiblement affiné. Un jour, Valek m’annonça que j’étais prête à goûter les poisons.

– Nous allons commencer par le plus violent, dit-il. Si tu lui résistes, les autres ne te tueront pas non plus. Je n’ai pas envie de passer un temps précieux à te former, pour te voir mourir à la dernière leçon. »

Poison Study est le premier tome de la saga Soulfinders, de Maria V. Snyder, et sans doute mon préféré de la trilogie.

Image associéeIl raconte l’histoire d’une jeune femme emprisonnée pour le meurtre de son violeur, à qui l’on va proposer une offre qu’elle ne pourra que difficilement refuser : devenir la goûteuse du commandant Ambrose, qui règne sur le royaume qui l’a condamnée et ainsi obtenir de lui sa liberté. Ce marché qui lui semble presque improbable, elle va l’accepter, sans en connaître tous les détails. Ce n’est que lorsqu’elle commencera à remplir ses fonctions qu’on lui révèlera les clauses de son contrat : pour s’assurer de son obéissance, elle devra consentir à avaler un poison mortel dont l’antidote lui sera donné chaque matin, sous condition qu’elle soit présente à l’heure et l’endroit convenu. Yelena n’a pas d’autre choix que d’obtempérer, mais l’idée d’évasion ne quittera pas son esprit durant l’intégralité du roman. Elle n’aura dès alors plus qu’un seul objectif en tête : regagner sa liberté par deux fois volée.

Avec ce roman fantasy, Maria Snyder crée un univers unique et particulièrement sombre, où l’aspect politique est primordial et inspire la réflexion. A travers le personnage de Yelena, elle nous fait voyager au-delà du royaume d’Ixia en nous faisant découvrir ses origines et ses relations avec les pays alentours, en nous laissant nous forger notre propre avis sur la situation du continent, ses lois, et la haine qui anime ses habitants. Son oeuvre ne va pas révolutionner le genre du fantastique, mais on peut tout de même la qualifier de sympathique et d’agréable à lire. C’est un roman adapté aux adolescents comme aux adultes, qui sauront comme moi le redécouvrir avec curiosité quelques années plus tard, avec une vision nouvelle et un œil critique.

Marine Madani

 

 

Mémoire de mes putains tristes, de Gabriel García Márquez

Le prix Nobel de littérature nous raconte l’histoire d’un ancien journaliste de 90 ans qui tombe amoureux d’une jeune adolescente vierge dans la ville de Barranquilla, en Colombie.

Résultat de recherche d'images pour "Mémoire de mes putains tristes""C’est une histoire d’amour qui finira, contrairement à beaucoup d’autres aventures qu’il a eues avant, en amour véritable entre les deux personnages qui sont différents l’un de l’autre. Au début, on se trouve avec une jeune fille qui vend sa virginité pour aider sa famille économiquement, et un ancien qui veut s’offrir une dernière nuit de plaisir avec une adolescente vierge pour célébrer son quatre-vingt-dixième anniversaire. Ce à quoi il ne s’attendait pas, c’était de connaître l’amour véritable avec elle. C’est ainsi que le vieux nonagénaire paie tous les jours Rosa, la patronne de la maison close où la jeune fille se trouve, pour pouvoir la voir sans jamais la toucher. Il abandonne ainsi les mauvaises intentions lascives dont il avait l’habitude et se laisse plonger dans la beauté et le charme de la jeune fille. Elle, elle lui rappelle quand même le grand décalage entre eux, tout en lui donnant en même temps une seconde jeunesse. Au fils du temps, la jeune fille s’investit également dans la relation avec le vieil homme car elle se sent aimée et protégée, jusqu’au jour où un meurtre a lieu à la maison menant à sa fermeture et à l’arrêt de leurs rencontres. À ce moment-là, sans avoir nouvelle d’elle, il décide de la chercher à travers des messages dominicaux dans le journal, en se servant de son expérience et de ses capacités de journaliste.

Même si à première vue le roman semble entrer dans la polémique morale et le mauvais goût de la prostitution et la pédérastie, au fil des lignes Márquez nous fait pénétrer avec sa narration et sa poésie, dans son dernier roman. Il nous montre à travers son écriture et son réalisme magique les thèmes principaux de son livre qui sont la vieillesse, la solitude et l’amour. Avec un ton mélancolique et à la fois humoristique, l’auteur nous emmène dans ce monde de la prostitution qui est encore présent de nos jours dans certains pays et nous fait découvrir un monde insolent et solitaire, mais aussi un monde où il y a de l’amour. En effet, « Mémoires de mes putains tristes », adapté aussi en film en 2012, est un roman qui aborde l’amour et la vieillesse d’une manière différente des autres récits, donc c’est un roman à apprécier, à lire et auquel penser.

Andrea Rico

 

Le Hasard fait bien les mots – « Bouteille»

La Grande Beune, Pierre Michon
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« Je lui demandais à dîner ; elle s’excusa modestement de ses fourneaux éteints, de son grand âge et me servit à profusion de ces choses froides qui dans les récits tiennent au corps des pèlerins et des gens d’arme, avant que leur corps ne passe au fil d’une épée, à la traverse d’un gué tout noir et plein de lames. Du vin là-dessus, dans un gros verre, pour affronter mieux les lames. Je mangeai ces charcutailles de haute époque ; à la table voisine les propos se faisaient rares, les têtes se rapprochaient, alourdies par le sommeil ou le souvenir de bêtes descendues en plein bond, mourant ; ces hommes étaient jeunes ; leur sommeil, leurs chasses, étaient vieux comme les fabliaux. »

Très court roman, celui d’un petit village sur la Beune, entre son auberge, son bureau de tabac, son école ; celui d’un fantasme, d’un rêve ; celui d’une histoire que charrie le fleuve ; celui surtout d’un désir qui, comme chaque émotion humaine, vient de plus loin, de la préhistoire, de l’antiquité.

Tristan Dupart

L’Assommoir, Emile Zola

M02070411435-large« Oui, elle riait à l’Assommoir, à la pleine lune du père Colombe, une vraie vessie de saindoux, aux consommateurs fumant leur brûle-gueule, criant et crachant, aux grandes flammes du gaz qui allumaient les glaces et les bouteilles de liqueur. »

Dans L’Assommoir, Zola décrit la vie d’un couple qui sombre petit à petit dans l’alcoolisme, et qui n’en ressortira pas.

Louise Rendu

Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, Mick KitsonM0B07C5K7QRC-large« Ils étaient venus deux fois chez nous il y a deux ans, une fois où Robert nous battait m’man et moi et une autre quand m’man avait piqué deux bouteilles de vodka au Spar et que quelqu’un l’avait vue rentrer à l’appart avec et l’avait balancée. Si les flics étaient malins ils trouveraient la trace des choses que j’avais achetées aves les cartes volées au cours des huit mois pendant lesquels j’avais tout planifié. »

Sal, 13 ans, est prête à tout pour sauver sa petite sœur Peppa d’une mère droguée et alcoolique et d’un beau-père violent et abuseur. Après avoir tout préparé pendant des mois, elle fuit le domicile familial avec sa sœur pour se réfugier dans les forêts de Highlands. Armées d’une boussole et d’un couteau de chasse, Sal et Peppa devront user de toute leur intelligence pour survivre à l’hiver.

Coline Charbin

Recommandations des Métisseurs – Novembre

Les Métisseurs partagent leurs coups de cœur, les livres qui les ont fait vibrer, rire ou pleurer… Voici les Recommandations du mois de novembre !

 

Narcisse et Goldmund, Hermann Hesse

Récit traduit de l’allemand par Fernand Delmas

L’histoire de Goldmund, dont l’éducation a été confiée à un moine et qui ne se trouve pas de vocation dans la vie monacale, m’a touchée et me touche à chaque fois que je relis ce roman. Il quitte le monastère pour l’errance, l’aventure, dans une quête perpétuelle du beau et toujours accompagné d’une certaine spiritualité. On le voit grandir, et on grandit avec lui dans ce roman initiatique… et il nous faut à la fin faire le deuil, et accepter de reprendre notre vie en portant sur le monde un regard nouveau, peut-être plus sage, en tout cas plus attentif.

Chacun pourra se retrouver à un moment où à un autre dans ce livre traçant également la vie de Narcisse, la mettant en parallèle avec celle de son élève ; ils recherchent tous les deux la même chose, mais y parviennent par des moyens différents : Narcisse par la prière et la méditation, Goldmund par l’action et l’aventure.

Aux Narcisse, aux Goldmund de ce monde (et aux autres aussi) : n’hésitez pas à vous perdre dans ces pages, dans ces mots empreints de poésie et de naïveté enfantine.

Louise Rendu

 

La cuisine de l’exil, Stéphanie Schwartzbrod

« J’ai eu envie d’écrire un livre de témoignages d’hommes et de femmes venus d’ailleurs, avec dans leurs bagages les recette de leurs pays, de leur enfance, de leur famille. Parler de leur cuisine, pour eux, c’est livrer des bouts de leur histoire et du chemin qui les a menés de là-bas à ici… »

Dans ce recueil, Stéphanie Schwartzbrod nous présente 24 témoignages d’exilés, de déracinés, qui ont quitté leur pays pour venir en France, entre les années 1920 et aujourd’hui. Ces récits, chacun accompagné de 5 recettes, nous invitent à découvrir le passé de ces exilés, les raisons de leur départ, les circonstances de leur arrivée mais aussi leur rapport à la cuisine, à leur culture, et à leur transmission.

 Tout d’abord, nous rencontrons Nicolas, dont les grands-parents ont fui la Russie suite à la révolution d’Octobre, au début des années 1920. Ensuite, Talila nous raconte comment ses parents ont quitté la Pologne en 1936 pour échapper à l’antisémitisme, puis se sont cachés pendant la guerre. Pierre lui, revient sur l’Indépendance de l’Algérie en 1962, quand sa famille a dû rentrer vivre en France. Françoise nous raconte son départ du Viêtnam en 1976, après la chute de Saïgon à la fin de la guerre. Nous rencontrons aussi Long Meng, qui s’est enfui la Chine en 1989 suite au massacre de Tian’anmen. Puis Yalini nous raconte comment elle a fui la guerre civile du Sri Lanka en 2004. Lina elle, a perdu son mari en 2012 au début de la guerre civile syrienne ; elle est contrainte de fuir la guerre avec ses enfants. Enfin, Adama nous raconte son terrible périple en 2017, depuis la Côte d’Ivoire jusqu’en France, en passant par le Burkina Faso, le Niger, la Lybie, et l’Italie, en quête d’une vie moins miséreuse.

A travers leurs histoires, ces récits nous font également redécouvrir l’Histoire, et reviennent sur un siècle d’immigration française, qui a contribuée à faire de notre pays ce qu’il est aujourd’hui. Chacun trace un portrait de la France, à travers les années, et nous invite à questionner l’immigration française et son évolution.

Ce qui lie ces témoignages entre eux, ce sont ces 120 recettes rapportées dans leurs bagages, dans l’espoir qu’elles leur rappellent ce goût si particulier, celui de la cuisine de leur enfance et de ces saveurs qui les ramènent au pays qu’ils ont quitté, le temps d’un repas. C’est un livre très touchant et vraiment authentique. Si certains récits nous mettent les larmes aux yeux, d’autres nous font rire et nous donnent envie de voyager. Vous pouvez en lire un par soir, ou tous d’un coup, ou encore vous interrompre entre chaque récit pour essayer les recettes présentées ; mais une chose est sûre : ce livre vous fera découvrir de nouveaux horizons gustatifs et de belles expériences humaines.

Coline Charbin

 

La Tregua, de Mario Benedetti

“Ahora lo sé. No te quiero por tu cara, ni por tus años, ni por tus palabras, ni por tus intenciones. Te quiero porque estás hecho de buena madera.” Nadia me había dicho dedicado jamás un juicio tan conmovedor, tan sencillo, tan vivificante. Quiero creer que es cierto, quiero creer que estoy hecho de buena madera. Quizá ese momento haya sido excepcional, pero de todos modos me sentí vivir. Esa opresión en el pecho significa vivir. »

« Maintenant je le sais. Je ne t’aime pas pour ton visage, ni pour tes années, ni pour tes paroles, ni pour tes intentions. Je t’aime parce que tu es de bonne composition. » « Personne ne m’avait jamais adressé un compliment si bouleversant, si simple, si vivifiant. Je veux croire que c’est vrai, je veux croire que je suis de bonne composition. Peut-être que le moment a été exceptionnel, en tout cas je me suis senti vivre. Cette oppression au cœur signifie vivre. »

Citation traduite par Blanche Taillandier

 

Mario Benedetti, écrivain uruguayen contemporain, écrivit le roman La Tregua en 1959, roman qui allait avoir un succès fou et qui fut traduit en de nombreuses langues et adapté au théâtre et au cinéma. La simplicité de ce roman suscite l’intérêt du lecteur du début à la fin. La plume de Martín Santomé, cinquantenaire  veuf proche de la retraite qui tombe amoureux de son employée, nous dévoile ses sentiments sur la vie, sur l’amour, sur la peur, sur la solitude, d’une manière si réelle et si simple à la fois, qu’elle parvient à toucher le lecteur par son authenticité. Un style d’une grande simplicité qui s’ouvre à tout lecteur et parvient à l’émouvoir. À lire !

Blanche Taillandier

Le Hasard fait bien les mots – « Halloween »

Coraline, Neil Gaiman

Le premier auteur qui me vient à l’esprit lorsque je pense à Halloween, c’est Neil Gaiman. Vous connaissez peut-être le film d’animation Coraline, aussi fascinant pour les enfants que traumatisant pour les parents… Eh bien, c’est une adaptation (réussie) du roman éponyme de Neil Gaiman !

CORALINE Nous y suivons les péripéties de Coraline Jones, une fillette d’une curiosité débordante qui découvre un passage secret dans sa nouvelle maison. Elle se retrouve dans une maison d’apparence similaire à la sienne, mais où tout est différent. Tout est plus beau, plus coloré, plus agréable… et surtout, elle fait la rencontre de ses « autres » parents, plus gentils, plus attentionnés… Et qui ont des boutons à la place des yeux ! L’enchantement de Coraline prend fin lorsque son « autre mère » lui propose de lui coudre à son tour des boutons à la place des yeux. Coraline découvre alors que cette « autre mère » a enlevé ses vrais parents et va tout faire, avec l’aide de son chat, pour les récupérer…

« — Qui êtes-vous ? demanda Coraline à voix basse.
— Les noms, les noms, toujours les noms… intervint une autre voix, lointaine et désolée. C’est la première chose qui s’en va, une fois que le souffle s’est éteint, et avec lui le battement du cœur. Les souvenirs nous restent bien plus longtemps que les noms. Je revois ma gouvernante tenant à la main mon cerceau et ma baguette, un matin de mai, avec le soleil qui brillait dans son dos et tout autour d’elle les tulipes qui dansaient sous la brise. Mais j’ai complètement oublié son nom, et celui des tulipes… »

Jennifer Caillerez

Frankenstein ou Le Prométhée moderne, Mary Shelley

« Une sinistre nuit de novembre, je pus enfin contempler frankensteinle résultat de mes longs travaux. Avec une anxiété qui me mettait à l’agonie, je disposai à portée de ma main les instruments qui allaient me permettre de transmettre une étincelle de vie à la forme inerte qui gisait à mes pieds. Il était déjà une heure du matin. La pluie tambourinait lugubrement sur les carreaux, et la bougie achevait de se consumer. Tout à coup, à la lueur de la flamme vacillante, je vis la créature entrouvrir des yeux d’un jaune terne. Elle respira profondément, et ses membres furent agités d’un mouvement convulsif. »

Louise Rendu

Chair de poule, La nuit des disparitions, R.L. Stine

halloweenC’est la nuit d’Halloween, et comme tous les enfants, Drew veut sortir faire la tournée des bonbons avec ses amis. Une bien mauvaise idée alors que son père lit dans le journal : « Chaque année, des enfants disparaissent le soir d’Halloween. La police n’a jamais retrouvé leurs corps. »
Mais Drew n’en fait qu’à sa tête et décide de sortir tout de même, une bien mauvaise idée car, avec ses amis, ils rencontreront d’étranges créatures aux têtes de citrouilles.

La collection Chair de poule fait partie de ces lectures que de nombreux jeunes lecteurs ont connus, et qui ont donné les premiers frissons! Un bon souvenir de jeunesse qui a un côté madeleine de Proust.

Lola Dougère

Recommandations des Métisseurs – Octobre

Les Métisseurs partagent leurs coups de cœur, les livres qui les ont fait vibrer, rire ou pleurer… Voici les Recommandations du mois d’octobre !

 

La Route de Glace, Yves Viollier

La Russie, Paris, la Vendée, l’Union soviétique, l’amour et la guerre sont les thèmes dans lesquels ce livre nous immerge. Yves Viollier nous transporte dans une histoire d’amour entre deux amants qui doivent traverser nombre d’épreuves pour se retrouver : Pierre, jeune communiste français, tombe amoureux d’une danseuse russe au Bolchoï, Maïa, pendant l’époque de l’Union soviétique en 1937.

la route de glaceCependant, Pierre partage sa vie avec sa femme Hélène et le fils qu’elle lui a donné, Michel, depuis 1950. Ainsi, déchiré entre son amour matrimonial avec Hélène et son amour réel pour Maïa, Pierre décide enfin d’aller avec Maïa et de l’aider à voyager de Bolchoï à Paris pour fuir le régime communiste. L’auteur, donc, nous raconte les difficultés et les différentes situations qu’ils doivent tous les deux subir pendant cette fuite.

C’est un livre facile à suivre par son écriture et la fluidité des évènements. Viollier nous transporte à différentes époques et lieux sans aucun problème, nous faisant voir les détails de la vie quotidienne et ses défis. C’est ainsi qu’on peut apprendre tant sur la vie minière à Faymoreau que sur la vie soviétique à Saint-Pétersbourg, en Russie. De même, il nous conduit non seulement en France et en Russie, mais aussi en Allemagne et en Espagne en nous racontant les différentes anecdotes de Pierre quand il part à la guerre. De cette manière, les diverses atmosphères, les histoires et les caractères des personnages nous font nous attacher à l’histoire, et nous surprennent, surtout, grâce au final mémorable du roman.

D’un autre côté, il faut dire que cette histoire d’amour prend une tournure magnifique avec les évènements dramatiques de guerre tels que la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale en Allemagne et l’époque soviétique en Russie. C’est précisément la narration de ces évènements qui donne envie de ne pas lâcher le livre afin de savoir ce qui va se passer et comment ça va finir. En termes généraux, il faut remarquer que ce roman se caractérise par son côté romantique mais aussi par l’angoisse et le drame présents, un mélange magnifique qui rend la lecture addictive. D’ailleurs, la lecture de La Route de Glace peut s’effectuer indépendamment de son livre précèdent, le premier tome, La Flèche rouge, qui pourrait également intéresser les lecteurs.

Andrea RICO

 

 

« Le Procès », Franz Kafka,

Adapté au format bande dessinée par Céka et Clod

Cette bande dessinée, publiée aux éditions Akileos, est une petite pépite. A travers cette adaptation du célèbre roman de Franz Kafka, on comprend que le dessin a une force d’expression hors du commun. On y retrouve en effet le parfait humour noir et absurde de Kafka, en un seul coup d’œil.le procès

Le personnage principal, Joseph K, se retrouve dans un procès incompréhensible puisqu’il ne sait pas de quoi il est accusé mais finit par accepter son sort et va alors se battre corps et âmes pour être acquitté. Le procès devient alors palpitant et on se prend à le suivre avec la plus grande attention alors qu’il est totalement absurde, et ce, grâce à la force du récit et parce que l’on est touché par le désespoir de ce pauvre Joseph K.

Tous les éléments clés du roman sont présents et la narration fonctionne, sans aucune sensation d’appauvrissement de l’œuvre, bien au contraire. Céka et Clod ravivent « Le procès » grâce à leur coup de crayon aussi efficace qu’esthétique. Ils créent une atmosphère inquiétante qui nous fait sombrer dans la quête de justice insensée de Joseph K. Bonne lecture !

Maylis Cazayus-Claverie

 

 

Le Chœur des Femmes, de Martin Winckler

Jean Atwood, une jeune interne rêvant d’une carrière dans la chirurgie gynécologique, doit faire un passage obligé dans le service du docteur Franz Karma, véritable paria de la médecine générale et alter égo de Martin Winckler, lui-même gynécologue.

le-choeur-des-femmes.jpgCe livre m’a été vivement conseillé par une amie (que je remercie du fond du cœur!), et m’a d’abord laissée perplexe: j’ai haï le personnage principal, Jean, dès les premières lignes du roman. Elle incarne tout ce que la médecine a de mauvais, à savoir des étudiant·es et internes surmené·es, constamment sous pression, et à qui on ressasse la vieille médecine réchauffée misogyne et insensible durant toute leur formation. Si mes mots sont durs, c’est parce que cette lecture m’a éclairée sur des violences médicales physiques et morales dont je n’avais jamais pris conscience, au point que j’ai du mal à imaginer me faire ausculter par quelqu’un d’autre que Franz Karma ! Il est la preuve qu’un médecin, avant d’être une figure d’autorité moralisatrice, doit avant tout être un « soignant », terme récurrent chez Karma, c’est-à-dire une personne bienveillante et à l’écoute de ses patientes. Peu importe si ce qu’elles lui disent n’a à priori pas de rapport direct avec la santé, Karma écoute, fait parler et soulage ces femmes que personne ne prend au sérieux.

Un roman que je compte parmi mes plus belles lectures, qui m’a énormément appris, le tout dans une écriture absolument maîtrisée qui retranscrit avec justesse les centaines de voix qui ont nourri les personnages de Martin Winckler.

Emilie Fernandez